Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) est un pilier de l’économie, mais aussi l’un des plus émetteurs de gaz à effet de serre, notamment en raison de l’usage massif d’engins de chantier fonctionnant aux carburants fossiles. Pelles hydrauliques, bulldozers, chargeuses, nacelles, camions-bennes : la plupart de ces machines tournent au diesel, avec un impact environnemental significatif. Face aux exigences réglementaires, aux attentes des maîtres d’ouvrage et aux stratégies RSE des entreprises, les carburants écologiques pour engins de chantier deviennent un levier stratégique pour réduire l’empreinte carbone des grands travaux.
Pourquoi décarboner les engins de chantier est devenu une priorité
Les engins de chantier représentent une part importante des émissions liées aux projets d’infrastructure et de construction. Ils fonctionnent souvent de longues heures, parfois sur plusieurs années, avec des moteurs puissants et énergivores. Les enjeux sont multiples :
- Réduction des émissions de CO₂ : les carburants fossiles traditionnels, comme le gazole non routier, sont fortement carbonés et contribuent directement au réchauffement climatique.
- Qualité de l’air sur les chantiers et en milieu urbain : particules fines, NOx et autres polluants affectent la santé des opérateurs, riverains et usagers.
- Pression réglementaire croissante : objectifs climat nationaux et européens, zones à faibles émissions (ZFE), appels d’offres intégrant des critères environnementaux stricts.
- Exigences des donneurs d’ordre : collectivités, grandes entreprises et maîtres d’ouvrage publics exigent désormais des preuves de performance environnementale.
- Image de marque et attractivité : adopter des carburants écologiques renforce la crédibilité environnementale des entreprises de BTP et facilite le recrutement de talents sensibles aux enjeux climatiques.
Dans ce contexte, les carburants écologiques – biocarburants avancés, biogaz, hydrogène, carburants synthétiques – apparaissent comme des solutions clés pour décarboner rapidement les flottes d’engins, sans attendre un renouvellement complet en machines 100 % électriques ou à hydrogène.
Panorama des principaux carburants écologiques pour engins de chantier
Plusieurs familles de carburants alternatifs peuvent être utilisées, seules ou en combinaison, selon le type d’engins, les contraintes de chantier et les objectifs de réduction des émissions.
Biocarburants liquides : HVO, biodiesel et mélanges avancés
Les biocarburants liquides constituent une solution particulièrement intéressante pour le BTP parce qu’ils peuvent, dans de nombreux cas, être utilisés dans les moteurs diesel existants, avec peu ou pas de modification.
HVO (Hydrotreated Vegetable Oil)
Le HVO, ou diesel renouvelable, est un biocarburant de synthèse produit à partir d’huiles végétales, d’huiles usagées ou de graisses animales. Il est chimiquement proche du diesel fossile et présente plusieurs avantages :
- Réduction des émissions de CO₂ sur l’ensemble du cycle de vie pouvant atteindre 80 à 90 % selon l’origine des matières premières et le procédé industriel.
- Compatibilité avec la majorité des moteurs diesel modernes, après validation par les constructeurs.
- Amélioration de la qualité de l’air local : réduction des particules fines et des émissions de certains polluants.
- Logistique similaire au diesel : stockage en cuves, ravitaillement sur site, utilisation dans les mêmes circuits d’approvisionnement.
Biodiesel (FAME, B100)
Le biodiesel de type FAME (Fatty Acid Methyl Ester), commercialisé notamment sous forme de B30 ou B100 (100 % biodiesel), est produit à partir d’huiles végétales ou de déchets. Pour les engins de chantier :
- Il peut être utilisé en mélange avec le gazole, dans des proportions variables (B7, B30, B100).
- Il permet une réduction significative des émissions de CO₂, bien que généralement plus modérée que le HVO.
- Il nécessite parfois des adaptations techniques (compatibilité des matériaux, fréquence d’entretien, stabilité au froid), à évaluer avec les motoristes.
Ces biocarburants sont particulièrement adaptés aux entreprises souhaitant réduire rapidement leur empreinte carbone sans immobiliser leurs engins pour de lourdes transformations.
Biogaz et GNV/BioGNV pour les engins et véhicules du BTP
Le biogaz est un gaz renouvelable produit par méthanisation de matières organiques (déchets agricoles, effluents d’élevage, biodéchets, boues de station d’épuration). Une fois épuré, il devient du biométhane, chimiquement équivalent au gaz naturel.
Dans le BTP, le biométhane peut être utilisé sous forme de :
- BioGNV (Gaz Naturel Véhicule renouvelable) : biométhane comprimé, adapté aux camions-bennes, véhicules utilitaires, certains engins mobiles et logistiques.
- BioGNL : biométhane liquéfié, plus dense énergétiquement, pour de longues distances et de gros tonnages.
Les avantages du biogaz pour les chantiers sont nombreux :
- Bilan carbone très favorable : le biométhane peut réduire les émissions de CO₂ de 70 % à plus de 100 % (bilan carbone négatif) lorsqu’il valorise des déchets qui auraient généré du méthane à l’air libre.
- Réduction significative des émissions polluantes locales (NOx, particules), améliorant les conditions de travail sur les chantiers.
- Valorisation de ressources locales : circuits courts énergétiques, contribution au développement territorial et à l’économie circulaire.
Le principal frein reste la disponibilité d’engins de chantier fonctionnant au GNV/BioGNV, encore limitée par rapport au diesel, ainsi que l’infrastructure de ravitaillement (stations publiques ou privées à créer à proximité des grands chantiers).
Hydrogène et piles à combustible : une piste d’avenir pour le BTP
L’hydrogène est appelé à jouer un rôle majeur dans la décarbonation des secteurs lourds, dont le BTP. Plusieurs approches existent ou émergent :
- Engins hybrides hydrogène – électrique : l’hydrogène alimente une pile à combustible qui produit de l’électricité pour un moteur électrique.
- Groupes électrogènes à hydrogène : en remplacement des groupes diesel pour alimenter les bases vie, grues, éclairages, outils électroportatifs.
- Hydrogène renouvelable (vert) : produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité verte, il permet de réduire fortement les émissions sur le cycle de vie.
Actuellement, l’hydrogène dans le BTP reste en phase de démonstration ou de premiers déploiements. Les enjeux principaux portent sur :
- Le coût de la technologie et de l’hydrogène renouvelable.
- La disponibilité d’une infrastructure de production, de stockage et de distribution sur ou près des chantiers.
- La formation des équipes aux enjeux de sécurité et d’exploitation de ces nouveaux équipements.
Malgré ces défis, l’hydrogène constitue une solution prometteuse pour les engins très puissants, nécessitant une grande autonomie et difficiles à électrifier avec des batteries seules.
Électrification et carburants de synthèse : complémentarité des solutions
Les carburants écologiques pour engins de chantier ne se limitent pas aux biocarburants ou au biogaz. Ils s’inscrivent dans un bouquet plus large de solutions :
- Engins électriques à batteries : mini-pelles, chargeuses compactes, nacelles ou matériels de manutention commencent à être largement disponibles, particulièrement adaptés aux chantiers urbains, intérieurs ou sensibles (hôpitaux, écoles).
- Carburants de synthèse (e-fuels) : produits à partir de CO₂ capté et d’hydrogène vert, ils peuvent à terme alimenter les moteurs thermiques existants avec un bilan carbone très réduit.
- Hybridation diesel – électrique : récupérant l’énergie de freinage ou optimisant les phases de fonctionnement, ces solutions permettent de réduire la consommation et les émissions, en combinaison avec des carburants écologiques.
La stratégie la plus efficace pour les entreprises de BTP consiste souvent à combiner ces leviers : électrification des petits engins, biocarburants ou BioGNV pour les machines lourdes, hydrogène pour certains usages spécifiques, le tout intégré dans une démarche globale de réduction de l’empreinte environnementale.
Cas pratiques : comment déployer des carburants écologiques sur un grand chantier
Pour passer de l’intention à l’action, il est essentiel de structurer une démarche méthodique. Voici quelques étapes clés, observées dans les retours d’expérience de grands chantiers d’infrastructures et de construction.
1. Réaliser un diagnostic énergétique de la flotte
- Inventorier l’ensemble des engins et véhicules : âge, type de motorisation, puissances, consommations annuelles.
- Identifier les engins les plus consommateurs et les plus critiques en termes d’émissions.
- Analyser la répartition des usages : terrassement, transport, levage, logistique de base vie, etc.
2. Définir une stratégie de substitution progressive
- Prioriser les engins facilement convertibles aux biocarburants (HVO, B30, B100) ou au BioGNV.
- Tester des engins électriques ou hybrides sur des chantiers pilotes, pour affiner les besoins en puissance et autonomie.
- Évaluer la pertinence de solutions à hydrogène sur des projets longs, de grande envergure ou soumis à de fortes contraintes environnementales.
3. Organiser la logistique de carburant écologique
- Sécuriser l’approvisionnement auprès de fournisseurs capables de garantir la traçabilité et la durabilité des carburants (certifications, bilans CO₂, origine des matières premières).
- Mettre en place des cuves dédiées pour les biocarburants ou des stations mobiles pour le BioGNV, en respectant les normes de sécurité.
- Anticiper les contraintes de stockage (température, stabilité, risques de contamination) en lien avec les préconisations des fabricants.
4. Accompagner les équipes sur le terrain
- Former conducteurs, chefs de chantier et responsables de parc aux spécificités des carburants écologiques.
- Mettre en place un suivi des performances : consommations, émissions évitées, retours d’usage.
- Sensibiliser l’ensemble des parties prenantes (maîtres d’ouvrage, riverains, partenaires) aux bénéfices concrets de la démarche.
Bénéfices économiques et environnementaux pour les entreprises de BTP
Au-delà de l’objectif de réduction d’empreinte carbone, l’adoption de carburants écologiques pour les engins de chantier présente plusieurs avantages stratégiques :
- Accès facilité aux marchés publics et privés intégrant des critères environnementaux : les répondants capables de démontrer une réduction mesurable des émissions disposent d’un avantage concurrentiel.
- Anticipation des réglementations futures : zones à faibles émissions, restrictions sur les moteurs thermiques les plus polluants, taxation carbone potentielle.
- Optimisation du coût global : si certains carburants écologiques sont aujourd’hui plus coûteux à l’achat, ils peuvent générer des économies indirectes (réputation, pénalités évitées, bonification dans les appels d’offres, attractivité employeur).
- Renforcement de la démarche RSE : les entreprises peuvent documenter précisément leurs actions de décarbonation et les intégrer dans leurs rapports extra-financiers.
Les carburants écologiques pour engins de chantier et BTP ne sont plus une option marginale, mais un véritable levier de transformation pour un secteur en pleine mutation. En combinant innovations énergétiques, adaptation des flottes et organisation logistique, il est possible de réduire de manière substantielle l’empreinte carbone des grands travaux, tout en maintenant un haut niveau de performance opérationnelle.

