
Il suffit de faire le plein une fois dans deux stations différentes pour s’en rendre compte : le prix de l’éthanol, ce carburant alternative en plein essor, varie considérablement selon les régions et même selon les enseignes. À l’heure où chaque centime compte autant pour les ménages que pour les professionnels, cette variabilité n’est pas anodine.
Pourtant, avec un litre généralement deux fois moins cher que le SP95-E10, l’éthanol (ou E85) reste l’un des carburants les plus économiques du marché. Dans cet article, on décrypte les tendances du prix de l’éthanol, les écarts que l’on peut constater d’une région à l’autre, et surtout ce que cela signifie d’un point de vue économique et écologique. On parlera chiffres, mais aussi bon sens. Parce que ce carburant, que beaucoup voient encore comme une lubie de bobos écolos ou un gadget marketing, est en train de prendre racine bien plus profondément dans notre paysage énergétique.
Comprendre ce qu’on paie : de quoi dépend le prix de l’éthanol ?
Avant de s’indigner devant le panneau d’affichage d’une station-service, il faut regarder ce que l’on met dans le réservoir. L’éthanol, c’est essentiellement de l’alcool produit par la fermentation de matières végétales : betterave, canne à sucre, maïs ou blé selon les régions. En France, l’éthanol utilisé dans le carburant est majoritairement issu des cultures agricoles locales, donc son prix dépend de plusieurs facteurs :
- Le coût des matières premières (céréales, betteraves…)
- Les conditions climatiques qui affectent les rendements agricoles
- Le cours du bioéthanol sur les marchés internationaux
- Les coûts de production et de distribution
- La fiscalité : la TICPE (Taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques) est nettement plus faible pour l’éthanol que pour l’essence fossile
En clair, même si l’éthanol est d’origine renouvelable, son prix reste soumis à des mécanismes de marché, à des facteurs logistiques et à des décisions politiques. Mais contrairement aux carburants fossiles, il présente une stabilité remarquable, notamment en période de crise pétrolière.
État actuel des prix en France : entre 0,70 € et 1,10 € le litre
À la date de rédaction de cet article, le litre d’E85 se négocie en moyenne aux alentours de 0,90 € dans l’Hexagone. Mais cette moyenne cache de sérieuses disparités. Les stations en région parisienne affichent fréquemment des prix s’approchant de 1,10 €, tandis qu’en Auvergne ou dans le sud-ouest, il n’est pas rare de voir des litres à 0,69 €.
Pourquoi de tels écarts ? Une explication saute aux yeux : toutes les stations ne sont pas égales devant l’approvisionnement et la distribution. Une station de grande surface, disposant de gros volumes, peut écraser ses marges et proposer de l’E85 à prix cassé. À l’inverse, une petite station indépendante en zone montagneuse, avec des coûts logistiques plus élevés, répercute naturellement ces surcoûts au client.
Les écarts régionaux : un vrai casse-tête… ou une stratégie ?
Voyager en éthanol peut ressembler à une chasse au trésor. Si vous vivez dans le nord ou l’ouest du pays, vous avez sans doute accès à des stations avec des prix très attractifs. Mais ceux qui habitent en région PACA ou en Bourgogne-Franche-Comté ont de quoi grincer des dents.
Voici quelques fourchettes de prix constatées récemment selon les grandes régions :
- Île-de-France : entre 0,95 € et 1,10 €
- Occitanie : entre 0,70 € et 0,89 €
- Hauts-de-France : entre 0,75 € et 0,95 €
- Auvergne-Rhône-Alpes : entre 0,78 € et 1,02 €
- Pays de la Loire : entre 0,72 € et 0,88 €
Derrière ces disparités, se cache aussi un enjeu de maillage territorial. Certaines régions ont massivement investi dans la filière éthanol – soit par intérêt économique, soit par volonté politique – ce qui favorise une meilleure disponibilité du produit, et donc, des prix plus concurrentiels. C’est le cas du Grand Est et des Hauts-de-France, où l’industrie agro-éthanol est bien implantée.
L’impact économique pour l’automobiliste : de vrais gains à la clef
Pour un automobiliste parcourant 20 000 km/an avec un véhicule équipé d’un boîtier éthanol homologué, les gains sont loin d’être anecdotiques. Malgré une surconsommation moyenne de 20 à 25 %, le litre d’E85 reste suffisamment bas pour garantir une économie substantielle.
Voici un exemple chiffré :
- Voiture essence non modifiée (SP95-E10 à 1,90 €/L – consommation : 7L/100 km) : 2 660 €/an
- Même véhicule avec boîtier E85, consommation à 8,5L/100 km, prix moyen à 0,90 €/L : 1 530 €/an
Soit une économie annuelle d’environ 1 130 €. Même en intégrant le coût du boîtier homologué (entre 700 et 1 200 €), l’amortissement est rapide, souvent inférieur à 18 mois. Et au-delà de l’économie directe, il y a aussi un certain plaisir à passer moins de temps à scruter les affichages des pompes à carburant avec angoisse.
Mais l’éthanol reste une exception dans un marché tendu
Le paradoxe, c’est que malgré ses avantages économiques et environnementaux, l’éthanol est encore marginal en France. À peine 5 % du parc roulant est aujourd’hui compatible à l’E85. Pourquoi ? Par méconnaissance, mais aussi par peur : celle de l’inconnu, de perdre la garantie constructeur, ou d’abîmer son moteur.
Sur le terrain, j’ai vu bien des automobilistes sceptiques finir par poser des questions en voyant les prix affichés à la pompe. Souvent, il suffit d’une conversation avec un collègue ou un voisin converti pour que la bascule s’opère. C’est d’ailleurs souvent dans les zones rurales, là où le pouvoir d’achat est plus sous pression et où les distances sont plus longues, que l’éthanol séduit le plus.
Quand le carburant devient politique
Le prix de l’éthanol est aussi un levier politique. En maintenant une fiscalité avantageuse (TICPE réduite), l’État envoie un signal favorable à une transition énergétique réaliste, accessible et immédiate. Mais ce soutien repose sur des décisions budgétaires renouvelées d’année en année. Rien ne garantit que cette fiscalité ultra-préférentielle persistera indéfiniment.
Rappelons à ce sujet qu’en 2022, la TICPE sur l’E85 était 6 fois inférieure à celle du SP95. Le tarif avantageux repose donc largement sur une volonté politique de privilégier un carburant jugé plus vertueux. Mais dans un contexte budgétaire tendu, la tentation pourrait être grande de rééquilibrer les taxations, ce qui remettrait en question l’argument économique de l’éthanol.
Alors, est-ce que l’éthanol est une affaire éphémère ou une solution stable à long terme ?
Une filière à accompagner, pas à surcharger
La France a tout pour être un leader du bioéthanol : elle produit, transforme et consomme localement. C’est un modèle vertueux, mais fragile. Notre dépendance aux importations est limitée, certes, mais les coûts d’intrants agricoles peuvent vite grimper, surtout en période de pénuries ou de sécheresse.
Tout tient à l’équilibre : pour que la filière reste compétitive, il faut éviter deux écueils :
- L’explosion de la demande sans augmentation de l’offre locale
- Une surtaxation qui viendrait affaiblir son principal argument : le prix
Il est donc crucial d’accompagner la filière, via des mécanismes incitatifs (subvention des boîtiers, soutien à la recherche agronomique, réseaux de distribution), sans la fragiliser par un excès de bureaucratie ou de charges fiscales.
Questions à se poser : vers quel modèle énergétique veut-on aller ?
Finalement, au-delà du prix au litre, c’est notre rapport au carburant qu’il faut interroger. Pourquoi continuer à subventionner massivement les énergies fossiles tandis que des solutions moins carbonées comme l’éthanol peinent à franchir la barre des 10 % de parts de marché ? Que gagne-t-on à maintenir les automobilistes dans la peur du changement — ou pire, dans l’ignorance des alternatives ?
Chaque passage à l’éthanol est un petit pas vers une réduction de notre dépendance au pétrole. Ce n’est pas la panacée — clairement, le E85 ne sauvera pas à lui seul le climat — mais c’est une brique de la transition que nous pouvons activer tout de suite, sans attendre le Graal du tout-électrique ou de l’hydrogène vert.
Alors la prochaine fois que vous verrez une station afficher le litre d’E85 à 0,72 €, posez-vous la question. Ce n’est peut-être pas qu’un bon plan. C’est peut-être aussi un choix politique, économique… et quelque part, un acte citoyen.