
Un véhicule qui roule au bois ? Retour vers le futur énergétique
Imaginez-vous croiser sur une petite route de campagne un vieux pick-up qui fume légèrement… mais pas comme une voiture diesel mal réglée. Non. Le bruit est feutré, la fumée sent le feu de bois, et le conducteur s’arrête de temps en temps pour charger quelques bûches dans une étrange cheminée métallique fixée à l’arrière. Il ne tourne pas une scène de film d’époque : il conduit une voiture gazogène. Oui, elle roule littéralement… au bois.
Cela peut paraître anachronique, voire loufoque. Et pourtant, ce type de propulsion existe bel et bien — et il ne date pas d’hier. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce simplement un bricolage de passionnés ou une piste sérieuse dans le contexte de la transition énergétique ? Ce billet vous propose un tour d’horizon pragmatique et sans filtre à particules de la voiture gazogène : son fonctionnement, ses performances écologiques, et les perspectives qu’elle peut — ou pas — offrir.
Gazogène : comment ça marche ?
Le principe est simple, presque rudimentaire. Une voiture gazogène utilise la pyrolyse contrôlée de matières organiques (le plus souvent du bois) pour produire un gaz combustible appelé gaz de synthèse ou gaz pauvre (principalement composé de monoxyde de carbone, d’hydrogène et de méthane).
Ce gaz est ensuite filtré et refroidi avant d’être injecté dans un moteur thermique classique, souvent un moteur essence modifié. Pas besoin de carburant fossile (en tout cas, pas directement), pas de raffinage. Oui, on transforme du bois (sec) en carburant, à bord du véhicule. Le processus repose sur la gazéification, rendue possible grâce à un réacteur installé sur la voiture elle-même.
Pour la petite histoire, c’est une technologie qui a été massivement utilisée pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment en Europe, faute d’accès au pétrole. À l’époque, on comptait plusieurs centaines de milliers de véhicules fonctionnant au gazogène. Un bricolage de guerre ? Peut-être. Mais avec un savoir-faire technique bien plus abouti qu’on ne l’imagine.
Retour d’expérience sur le terrain
Lors d’une rencontre avec Jean-Marie C., retraité d’Ariège et bricoleur génial, j’ai pu observer de près une Peugeot 505 break équipée d’un gazogène maison. Le véhicule fonctionne parfaitement, avec une autonomie de 80 à 100 km pour une charge de 20 kg de bois. L’allumage prend environ 10 à 15 minutes à froid, mais une fois que le système est chaud, les redémarrages sont quasi instantanés.
Jean-Marie a conçu son gazogène en récupérant des plans d’époque et en les adaptant à des matériaux modernes. Il précise :
“C’est pas pour aller faire ses courses au supermarché du coin. Mais pour les déplacements locaux, à vitesse raisonnable, c’est fiable, pas cher, et propre.”
Ce type d’exemplarité artisanale n’est certes pas réplicable à l’échelle industrielle en l’état, mais il prouve qu’avec un peu d’huile de coude (et quelques coups de disqueuse), la voiture gazogène n’est pas un mythe de garage.
Performances écologiques : réel gain ou effet de style ?
On pourrait être tenté de classer immédiatement la voiture gazogène dans la case des “solutions à faible impact carbone”. Mais avant de s’enthousiasmer, quelques bémols techniques méritent d’être posés.
- Le gazogène émet moins de CO₂ fossile, c’est vrai. Le carbone émis lors de la combustion du bois est théoriquement compensé par celui capté lors de la croissance de l’arbre.
- La combustion n’est pas toujours complète, ce qui peut générer des émissions de particules fines, du goudron et du monoxyde de carbone.
- Tout dépend de la filière bois utilisée. Si le bois provient de forêts durablement gérées ou de déchets de scierie, la balance écologique est globalement positive. Si on commence à raser des forêts pour faire rouler quelques voitures, on retombe dans les travers des agrocarburants de première génération.
En résumé : oui, la voiture gazogène peut jouer un rôle ponctuel dans une mobilité décarbonée, à condition que la ressource soit locale, renouvelable et correctement valorisée. Elle ne sera jamais “zéro émission”, mais elle peut être nettement moins impactante qu’un véhicule fossile classique — surtout dans une logique de sobriété énergétique.
Quelles limites techniques et logistiques ?
L’un des freins majeurs reste… l’encombrement. Le réacteur, les filtres, le système de refroidissement : tout ça prend pas mal de place. Et vous pouvez dire au revoir à la ligne profilée de votre berline.
En plus, voici quelques défis non négligeables :
- Temps de montée en température avant de pouvoir démarrer.
- Nécessité d’un bois bien sec (moins de 15 % d’humidité) pour éviter les suies et colmatages.
- Maintenance régulière du circuit gaz, notamment les filtres à goudrons, les grilles de tamis etc.
- Faible autonomie, souvent autour de 100 km par charge de bois.
On est ici bien loin du “plein en cinq minutes” d’un véhicule thermique ou électrique, et il faut avoir un minimum de compétence pour entretenir le système. Clairement, ce type de solution n’est pas adapté à un usage urbain quotidien…
Mais dans certains contextes bien précis — zones rurales, autonomie énergétique, crise énergétique majeure — elle prend tout son sens. Ce n’est pas un gadget de salon. C’est une vraie réponse, locale, rustique, aux enjeux de résilience.
Un intérêt géopolitique inattendu ?
Paradoxalement, c’est en Ukraine en 2022 que la voiture gazogène a connu un regain d’intérêt. Plusieurs initiatives citoyennes ont ressorti des plans soviétiques de gazogènes pour équiper des véhicules de secours coupés du ravitaillement en carburant. Contexte oblige, c’est le facteur “autonomie” qui prime ici, et non la performance ou le confort.
Ce cas nous rappelle une chose essentielle : à défaut d’être la solution du futur, le gazogène incarne l’énergie de la débrouille — adaptable, locale, décentralisée. Et dans un monde aux chaînes d’approvisionnement incertaines, cette autonomie énergétique pourrait devenir stratégique.
Perspectives d’avenir : niche marginale ou piste sérieuse ?
Disons-le franchement : personne ne mise aujourd’hui une industrie automobile de masse sur le gazogène. Ce n’est ni sexy, ni minimaliste, ni “smart”. Pourtant, dans un monde qui cherche à diversifier ses modes de propulsion et à résister aux chocs exogènes, cette solution mérite un coin de lumière.
Quelques potentiels de niche peuvent être envisagés :
- Projets de permaculture ou d’éco-hameaux autonomes.
- Outils pédagogiques dans les écoles d’ingénieurs ou les musées techniques.
- Solutions de secours dans des zones coupées du réseau énergétique classique.
- Utilisation dans des pays fortement boisés, en contexte de décarbonation contraint.
Mais pour passer au niveau supérieur, il faudrait un effort de normalisation, de miniaturisation et de facilitation d’usage. Sans cela, l’auto gazogène restera le domaine des passionnés, des survivalistes, ou des amoureux de technologies oubliées.
En guise de carburant pour nos réflexions…
Faut-il relancer une technologie des années 40 pour répondre aux défis du XXIe siècle ? Pourquoi pas. Après tout, la transition énergétique ne se gagnera pas avec une seule carte. Elle passera sans doute par un florilège de solutions imparfaites, adaptées à leurs contextes, chacune apportant sa pierre à l’édifice post-pétrole.
Le gazogène n’électrisera pas l’industrie, mais il lui rappelle une chose : que la low-tech, la résilience et l’ingéniosité ont toujours un rôle à jouer. Dans le foisonnement des technologies vertes, certaines idées anciennes méritent d’être dépoussiérées, non pour revenir en arrière, mais pour tracer des chemins alternatifs.
Alors, la prochaine fois que vous ramassez une bûche, demandez-vous : “Et si c’était ça, mon prochain plein ?”